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Lecture des propositions XXIX à XXXVI du De Servitute

Après que les propositions 19 à 28 aient dégagé les fondements de la vie raisonnable individuelle, les propositions 29 à 37 concernent les fondements de la vie raisonnable inter-humaine.

 

Macherey intitule son commentaire des prop. 29 à 37 : « vers la société » (165).

 

L’enjeu est de déterminer comment renforcer notre puissance, en vue de l’accomplissement du projet éthique qui vient d’être tracé : comme l’avait énoncé par avance le scolie de la prop. 18, ce projet ne saurait consister en un retrait du monde mais au contraire en un effort d’union ou de « commerce » avec tout ce qui peut nous être utile. Il va s’agir ici de pouvoir déterminer avec rigueur (= déduire) ce qui nous est utile autour de nous, de manière générale : la conclusion de cette séquence sera qu’il importe au plus haut point de s’unir avec d’autres hommes, en particulier raisonnables, et de cultiver la société (la politique se trouvant ainsi pour ainsi dire justifiée par l’éthique).

 

Macherey : « C’est donc que dans l’éthique spinoziste il y place, et une place essentielle, pour la réflexion politique, sans laquelle et en dehors de laquelle la vertu serait vouée à rester un idéal formel, une utopie sans contenu. Il y a, pourrait-on dire, une constitution et une destination éthique du principe de la socialité [différence avec Machiavel soulignée en note]. » (167).

 

Les propositions 29 à 31 commencent par déduire les conditions générales par lesquelles quelque chose est bon ou mauvais à quelque chose d’autre.

Les propositions 32 à 34 établissent que lorsque les hommes sont conduits par les passions ils peuvent discorder et être contraires les uns aux autres.

Les propositions 34 à 37 montrent que, au contraire, lorsque les hommes sont conduits par la raison ils conviennent nécessairement entre eux.

 

Prop. 29 : Une chose singulière quelconque dont la nature est entièrement différente de la nôtre ne peut ni aider, ni contrarier notre puissance d’agir, et, absolument parlant, aucune chose ne peut être pour nous bonne ou mauvaise si elle n’a quelque chose en commun avec nous.

demonstratio par 2, prop 10, cor   |  1, prop 28  |  2, prop 6  |  4, prop 8  |  3, prop 11, sc

 

Les propositions 29 à 32 déterminent les conditions générales pour qu’une chose puisse être bonne ou mauvaise – utile ou nuisible – à l’égard d’une autre.

Elles fondent ainsi les éléments d’une « éthique de la similitude », pour laquelle « similitude et utilité sont strictement corrélatives » (Matheron, Etudes sur Spinoza, 680).

 

La condition fondamentale est celle d’une certaine communauté ou similitude de nature : une chose quelconque ne peut être bonne ou mauvaise pour nous qu’à la condition d’avoir quelque chose de commun avec nous.

Avoir « quelque chose en commun » : partager des propriétés communes, en particulier, pour nous, celles qui relèvent de l’étendue ou de la pensée.

Autrement dit, une chose absolument hétérogène ne peut nous être ni utile ni nuisible en rien.

 

Matheron : « Sans une certaine homogénéité entre la cause et l’effet, nulle action causale n’est concevable : deux êtres qui n’auraient rien de commun, loin de pou-

voir s’affecter l’un l’autre, évolueraient sur deux plans distincts sans jamais se rencontrer. Une chose entièrement différente de nous n’est donc pour nous ni bonne ni mauvaise. Hypothèse purement théorique, bien entendu :  seuls la vérifieraient les modes des attributs inconnus. Mais le principe est bien posé : l’existence de certaines propriétés communes est la condition de possibilité de toute action réciproque, positive ou négative, entre choses par ailleurs différentes. » (260).

 

Il y a donc 3 catégories de choses :

–       celles qui ne comptent pas du tout parce qu’elles n’ont rien de commun avec nous

–       celles qui sont bénéfiques parce qu’elles ont quelque chose de commun avec nous par quoi elles nous sont utiles (conviennent avec nous, comme il sera dit dans la prop. 31)

–       celles qui sont nuisibles parce qu’elles ont quelque chose de commun avec nous, mais aussi quelque chose d’autre par quoi elles disconviennent avec nous (nous sont « contraires » comme dira la prop. 30).

 

En réalité, toute chose singulière corporelle et/ou mentale partage des propriétés avec nous, à des degrés divers. Seules les choses relevant d’autres attributs (les modes des attributs inconnus) n’ont absolument rien de commun avec nous.

 

La définition 2 du De Deo avait déjà énoncé qu’une chose finie en son genre est limitée par une autre de même nature, seulement.

 

Démonstration

Remonte à la partie 1 et à la partie 2 pour rappeler qu’une chose singulière ne peut être déterminée en général à être ou à opérer/agir que par une autre chose singulière (I, 28) et relevant du même attribut, non d’un autre (II, 6).

Or, le bien et le mal correspondent à une variation de la puissance d’agir.

Prop. 30 : Nulle chose ne peut être mauvaise par ce qu’elle a de [ou en ] commun avec notre nature ; mais en tant [autant ou pour autant : quatenus] qu’elle est mauvaise pour nous, en cela [autant ou pour autant : eatenus] elle nous est contraire.

demonstratio par 4, prop 8  |  3, prop 11, sc   |  3, prop 4  |  3, prop 5

 

Reprise 6 fois dans la suite de l’Ethique.

 

La contrariété ne peut advenir que sur fond d’une communauté de nature, mais ne peut provenir de cette communauté comme telle.

La nuisance et la contrariété d’une chose ne peuvent provenir que de quelque chose d’elle de non-commun, par « un autre aspect d’elle-même », une autre « partie de cette chose » (Macherey, 175) : par quelque chose d’autre qui constitue ou découle aussi de sa nature, et qui est contraire à quelque chose d’autre de notre nature.

Macherey a sans doute raison de souligner que la portée de cette contrariété est comme réduite par la formulation spinozienne.

 

Macherey distingue nature profonde (commune par la cause) et manifestations (contraires par les effets). Et il distingue, au même sens, « ce qui est commun » et « ce qui convient ».

 

Par ex. : un rocher en train de dévaler une pente m’écrase ; l’inertie de son mouvement (les effets de son conatus) m’est contraire, mais non lui en tant que corps : en tant que tel, il pourrait aussi bien me servir de point d’appui d’escalade.

 

Matheron interprète un peu différemment, et me semble-t-il plus justement, communauté et contrariété de nature entre deux modes – certaines propriétés sont communes/utiles et certaines propriétés sont contraires/nuisibles  : cf. cet important extrait qui commente très précisément en les dépliant les propositions 30 et 31.

 

Démonstration

Par l’absurde : si une chose pouvait nous être contraire par ce qu’elle de commun avec nous, elle serait aussi contraire à elle-même (« cela même qu’elle a de commun avec nous »), ce qui est absurde et contradictoire avec la prop. 3 de la partie IV selon laquelle « nulle chose ne peut être détruite sinon par une cause extérieure ».

Pour une explication plus détaillée de cette démonstration, cf. cet important extrait de Matheron qui commente très précisément en les dépliant les propositions 30 et 31 et leurs démonstrations.

Prop. 31 : En tant [pour autant] qu’une chose convient avec notre nature, en cela [pour autant] elle est nécessairement bonne.

demonstratio par 4, prop 30  |  4, def 1  |  3, prop 6

 

Ce par quoi une chose « convient » (convenire) avec notre nature nous est nécessairement bon/utile.

Ce qui signifie qu’une chose, en tant qu’elle convient avec notre nature, ne peut ni nous être nuisible (proposition précédente) ni non plus nous être indifférente, comme le précisera la démonstration.

 

« Chose » doit s’entendre au sens le plus général : un corps, une idée, un individu, l’une de ses propriétés, un affect, etc.

Deux natures singulières conviennent dans la mesure où elles partagent des propriétés communes, une certaine communauté de nature, et donc aussi un conatus commun qui les fait agir de concert dans la même direction, les fait converger et être bonne/utile l’une à l’autre.

Le corollaire traduira cette proposition en termes de degrés : plus une chose convient avec notre nature, plus elle nous est utile.

 

Démonstration

Par élimination : quelque chose qui convient avec nous ne peut nous être mauvais ; c’est donc soit bénéfique, soit indifférent ou neutre.

Ensuite démonstration par l’absurde, analogue à celle la proposition précédente : elle ne peut nous être indifférente car cela impliquerait qu’elle soit aussi indifférente à elle-même, donc qu’elle n’ait aucun conatus.

 

Corollaire

Enonce la réciproque de la prop. 31 et traduit l’ensemble des propositions 29-31 en termes de degrés : plus une chose s’accorde avec nous en nature (= plus elle partage de propriétés communes avec notre nature), plus elle nous est utile.

C’est pourquoi, de manière générale, comme l’avait énoncé par avance le scolie de la prop. 18, rien de plus utile à l’homme que l’homme (à un homme qu’un autre homme), en général.

La démonstration du corollaire consiste à nouveau à éliminer la possibilité qu’une chose puisse avoir des effets neutres sur nous : soit une chose convient avec notre nature, soit elle est contraire ; seule une chose « différente » (donc sans communauté avec nous) peut être pour nous ni utile, ni nuisible.

Matheron : « la simple différence ne peut engendrer que l’indifférence mutuelle » (263).

 

S’achève ici la détermination des conditions de l’utile (bon) et du nuisible (mauvais) en général : « Ainsi la question préalable est-elle tranchée : dans la mesure où une chose s’accorde avec notre nature, elle est nécessairement bonne ; inversement, si elle est bonne, c’est dans la seule mesure où elle s’accorde avec notre nature. Le profit que nous pouvons tirer des êtres qui nous entourent se mesure donc au nombre de propriétés qu’ils partagent en commun avec nous. N’importe quoi peut toujours nous servir, car rien de ce qui existe dans l’Etendue et la Pensée ne nous est absolument étranger; mais tout ne peut pas nous servir au même degré, car tout ne nous ressemble pas au même titre : plus une chose nous est semblable, plus elle nous est utile. (…) Il n’est rien, pour l’homme, de plus utile que les autres hommes, car (…) aucune chose singulière ne lui ressemble davantage. Aussi est-ce leur société qu’il importe avant tout de cultiver. » (Matheron, 263).

« Le désir d’être est en même temps désir d’accord » (Matheron, 266).

 

Les propositions suivantes vont maintenant préciser à quelles conditions plus précises l’homme est utile à l’homme (sous la conduite de la raison), et dans quelle mesure il peut aussi ne pas l’être (sous l’empire des passions).

Prop. 32 : En tant [pour autant] que les hommes sont sujets aux passions, on ne peut dire qu’ils conviennent en nature.

demonstratio par 3, prop 7  |  3, prop 3, sc

 

Les prop. 32 à 35 vont maintenant préciser à quelle condition et dans quelle mesure les hommes conviennent entre eux et sont utiles les uns aux autres, ou au contraire peuvent « discorder » et se nuire les uns aux autres.

 

« On ne peut pas dire » que les hommes conviennent en nature en tant qu’ils sont sujets/soumis aux passions (affects passifs).

Formulation pour ainsi dire concessive : les hommes conviennent en principe en nature (puisqu’ils sont grandement semblables), mais ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont conduits par leurs passions (et leurs idées inadéquates).

Ainsi leur disconvenance s’énonce comme une forme d’impuissance, d’échec à déployer leur convenance fondamentale.

 

Macherey : « Les passions rendent les hommes étrangers à eux-mêmes, de telle manière que, devenus autres qu’ils ne sont, ils en finissent par ne plus convenir avec leur propre essence » (186)

 

Démonstration

Convenir en nature, c’est « convenir en puissance » (car puissance = essence actuelle, Eth. III, 7)

Or, « les passions ne se rapportent à l’Âme qu’en tant qu’elle a quelque chose qui enveloppe une négation » (Eth. III, 3 sc), c’est-à-dire expriment non la puissance de l’âme mais plutôt son impuissance, sa non-puissance, son incapacité à développer son essence.

Les hommes ne peuvent convenir et converger entre eux par un tel point commun purement négatif : ils ne peuvent être dits convenir entre eux par leur impuissance, mais seulement par quelque chose de leur puissance.

 

Scolie

Propose une autre démonstration, plus générale et évidente par soi (aspects logiques).

Deux choses ne peuvent être dites « convenir » entre elles par ce qu’elles n’ont pas (en commun).

Aucun des caractères négatifs de l’homme – passions, impuissance, finitude, statut de mode, etc. – ne peut servir de fondement à une convenance de nature.

On ne peut convenir « en négation » (in sola negatione).

Prop. 33 : Les hommes peuvent discorder en nature, en tant qu’ils sont en proie à des affects qui sont des passions, et, en cela aussi, un seul et même homme est divers et inconstant.

demonstratio par 3, def 1  |  3, def 2  |  3, prop 7  |  3, prop 56  |  3, prop 51

 

Tire une conséquence de la prop. précédente : malgré leur convenance de principe, il est « possible » que les hommes discordent en nature (natura discrepare), entrent en désaccord les uns avec les autres, pour autant, dans la mesure (seulement) où ils sont soumis aux passions. Car, dans ce cas, on ne peut dire qu’ils conviennent en nature.

De même, un seul et même homme peut être pour ainsi dire en désaccord avec lui-même (fluctuatio animi).

 

Démonstration

La nature des affects ne se définit pas seulement par la nature de l’être affecté mais par la puissance des causes extérieures comparée à celle-ci.

Ceci a pour conséquence qu’un même objet peut affecter deux hommes de manière différente, et même un seul et même homme (par Eth III, 51).

Prop. 34 : En tant [pour autant] que les hommes sont en proie aux affects qui sont des passions, ils peuvent être contraires les uns aux autres.

demonstratio par 3, prop 16  |  3, prop 32  |  3, prop 32, sc   |  3, prop 40  |  3, prop 40, sc   |  3, prop 39  |  4, prop 30  |  3, prop 59

 

Cette discordance de nature peut entrainer une contrariété entre hommes.

On est ici au plus proche de Hobbes pour qui, dans l’état de nature, les hommes sont animés en permanence par un sentiment de crainte réciproque et de rivalité, d’hostilité généralisée.

 

Démonstration

Répertorie les différentes (et nombreuses) causes de cette possible hostilité généralisée, qui repose de manière générale sur les mécanismes affectifs d’identification, de transfert et d’imitation développés dans la partie III : ambition (3, 16 et 3, 29), envie (3, 32 et scolie), retentissement de l’admiration sur les passions (3, 40 et scolie et 3, 55, scolie).

 

Scolie

Le scolie prévient une objection : on pourrait croire que la similitude est cause de contrariété, ce qui serait contradictoire avec les prop. 30 et 31.

Or, en tant qu’ils aiment la même chose, Pierre et Paul conviennent bien en nature, et ne sont pas contraires l’un à l’autre : au contraire, cet amour commun pourrait, en principe, converger et être conjointement alimenté.

Mais, dans la mesure où ils aiment ensemble une chose que l’un possède et que l’autre n’a pas/plus, ils discordent en nature (l’un est joyeux, l’autre est triste) : c’est donc le caractère supposé non partageable/partagé du bien aimé qui est la cause « accidentelle » de leur contrariété.

Prop. 35 : C’est en tant seulement qu’ils vivent sous la conduite de la raison, que les hommes nécessairement conviennent toujours en nature.

demonstratio par 4, prop 33  |  4, prop 34  |  3, prop 3  |  3, def 2  |  4, prop 19  |  2, prop 41  |  4, prop 31, cor

 

Alors que les hommes peuvent discorder entre eux et être contraires les uns aux autres, pour autant qu’ils sont sujets aux affects passifs, ils conviennent nécessairement toujours entre eux seulement si et pour autant qu’ils vivent sous la conduite de la raison.

Ainsi, vivre unis et vivre rationnellement sont une seule et même chose.

« Parce qu’ils sont des êtres de raison, et en tant seulement qu’ils se comportent comme tels, les hommes échappent aux perspectives de division auxquelles ils sont exposés par ailleurs du fait de leur situation de parties de la nature, soumises aux influences extérieures et aux forces des affects qui, les aliénant, opposent tendanciellement les individus entre eux : la raison constitue le seul remède possible à leur condition de choses singulières finies, qui est elle-même l’unique cause de leurs divisions. » (Macherey, 204).

 

Démonstration

En tant qu’ils pâtissent (c’est-à-dire en tant qu’ils sont soumis aux variations des causes extérieures), les hommes peuvent être contraires les uns aux autres.

Mais en tant qu’ils vivent sus la conduite de la raison, ils sont dits « agir », c’est-à-dire que leurs effets/actes suivent de leur seule nature, par où ils conviennent entre eux.

Quand ils agissent ainsi, les hommes font nécessairement des actions qui sont bonnes pour la nature humaine, c’est-à-dire pour chaque homme.

« De notre commune nature (…) découlent nécessairement les mêmes désirs rationnels, et nos efforts se conjuguent dans la production d’événements voulus par tous et utile à tous. La Raison, partout et toujours, est source d’unanimité ; elle seule peut réaliser à coup sûr la convergence des conatus. » (Matheron, 269-270).

 

Corollaire 1

Conséquence : rien de plus utile à un homme qu’un autre homme vivant sous la conduite de la raison, dans la mesure où ils conviennent alors au mieux entre eux.

Réciproquement : un homme vivant sous l’emprise des passions ne peut être que moins utile aux autres hommes.

Ce corollaire est démontré par le fait qu’un homme n’est vraiment homme, pleinement homme, que lorsqu’il est sous la conduite de la raison, et agit ainsi selon les seules lois de sa nature.

« Utilisons autrui, certes, mais utilisons-le intelligemment ; et pour y parvenir, la seule méthode sûre est de le rendre lui-même intelligent. Notre intérêt bien compris exige que tous nos semblables, si possible, deviennent d’aussi bons utilitaristes que nous : une fois rendus tels, ils feront ce que nous voulons en agissant comme bon leur semble, car ce qui leur semblera bon le sera vraiment et le sera pour tous. » (Matheron, 270).

 

Corollaire 2

L’utilitarisme particulier – la recherche de l’utile propre, sous la conduite de la raison – est un utilitarisme collectif – qui produit de l’utile commun.

« Que chacun soit un bon égoïste calculateur, et le bien commun sera ipso facto assuré : le postulat fondamental de l’Economie Politique classique est déjà là. » (Matheron, 270).

 

Scolie

Ce raisonnement est confirmé aussi par l’expérience : tout le monde reconnaît que « l’homme est un dieu pour l’homme ».

Et ceci bien qu’il soit rare que les hommes vivent sous la conduite de la raison.

Ainsi, est-ce à bon droit que l’homme est qualifié d’ « animal sociable », car même conduits par la passion, même aveuglément, les hommes tendent à s’unir, car ils trouvent de fait plus d’avantages que d’inconvénients à le faire.

C’est une description, au fond pas très bonne, mais d’un état de fait réel (concession : cf. aussi TP, II, fin § 16).

La vie en société est un fait, qui en tant que tel témoigne déjà de la tendance sociable des hommes, même lorsqu’ils sont, comme à l’accoutumée, sujets d’abord aux passions.

Prop. 36 : Le souverain bien de ceux qui suivent la vertu est commun à tous, et tous peuvent en avoir un égal contentement.

demonstratio par 4, prop 24  |  4, prop 26  |  4, prop 28  |  2, prop 47  |  2, prop 47, sc

 

Le « souverain bien de ceux qui suivent la vertu » est de connaître Dieu : « Le souverain bien de l’esprit est la connaissance de Dieu, et la souveraine vertu de l’esprit est de connaître Dieu. » (Prop. 28).

Or, ce souverain bien – connaître Dieu – est un bien par nature « commun à tous », puisque tout homme a l’idée de Dieu en lui (II, 47).

De plus, ce bien est par nature partageable, non monopolistique (à la différence des biens « matériels » : terre, et, dans une certaine mesure, argent) : ils peuvent donc en jouir tous et de manière égale, sans s’en priver les uns les autres (sans envie ni jalousie, ni haine en général).

Aspiration pour ainsi dire « universaliste » de la vie sous la conduite de la raison, c’est-à-dire vertueuse.

 

Par là est aussi dépassée, comme le souligne Matheron, la perspective « utilitariste » – et donc en un sens « individualiste » – qui semblait dominer jusque là : convenir ensemble sous la conduite de la raison, c’est suprêmement rechercher un bien commun et partageable, qui consiste dans la connaissance rationnelle elle-même (« intellectualisme », dit Matheron).

 

Démonstration

Identifie le souverain bien de ceux qui suivent la vertu à la connaissance de Dieu.

Rappelle que l’idée de Dieu est présente en chaque âme humaine.

 

Scolie

Ce caractère commun de la connaissance de Dieu n’est pas un « accident », mais se déduit nécessairement de la nature de l’âme humaine en tant qu’elle est rationnelle.

Enjeu du scolie : souligner le caractère non monopolistique du souverain bien, qui n’est pas seulement commun au sens de recherché par tous, mais aussi de partageable par nature.

 

Matheron : « Sous sa conduite [la raison], nous ne désirons rien d’autre que comprendre ; et notre Souverain Bien est la connaissance de Dieu, source de toute idée vraie. Or ce Souverain Bien, de toute évidence, n’a rien de monopolistique : il est commun à tous, car chacun possède l’idée vraie de Dieu et peut, s’il en a la force, en développer les implications et s’en réjouir ; en quoi cela gênerait-il qui que ce soit ? Que les autres hommes soient privés de cette jouissance n’augmente en rien notre bonheur : tout au contraire, ajouterons-nous bientôt [dans la proposition suivante]. » (272).

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