Les définitions et axiomes du De Deo posent les notions et principes fondamentaux de l’ontologie – et de l’épistémologie – spinoziste. On ne les comprendra vraiment, et leurs enjeux, que quand on les verra fonctionner dans les propositions.
LES AXIOMES
Axiomes (principes évidents par eux-mêmes) : Définissent les relations entre toutes les « choses » qui viennent d’être définies, sur le plan de l’être et du connaître.
Les axiomes énoncent les « conditions permettant de penser des choses en général » (Macherey, 54), toutes les choses qui sont (Axiome I : Omnia, quae sunt) : les relations qui vont permettre de faire « travailler » les définitions entre elles, pour produire les « propositions » qui suivront.
Les 7 axiomes, pris ensemble, énoncent le principe de base de l’univers spinoziste : le principe « d’intelligibilité intégrale » (Matheron) du réel, le « rationalisme absolu » (Guéroult). Ils « résument les principes d’un monde non-fictionnel » (Moreau), les principes rationnels des événements du monde réel tels qu’ils se produisent et doivent être compris par l’entendement (et non l’imagination).
Ax. 1 : Tout ce qui est est ou en soi ou en autre chose.
Rien d’autre n’est que ce qui est en soi ou en autre chose : substance(s) (déf 4) ou mode(s) (déf. 6). Principe du tiers exclu – soit A, soit B, pas de 3e possibilité : unique alternative car il n’y a pas de moyen terme concevable entre être « en soi » et être « en autre chose » (soit on est l’un, soit on est l’autre).
« Etre » ne peut signifier que deux choses : être au sens substantiel, être au sens modal.
Ax. 2 : Ce qui ne peut se concevoir par autre chose doit se concevoir par soi.
Pendant de l’axiome 1 sur le plan du connaître : soit conçu par soi, soit par autre chose, pas d’autre alternative. Ce qui est en soi doit se concevoir par soi, ce qui est en autre chose doit se concevoir par autre chose.
Etre « en soi » : avoir ses lois propres, son propre système interne de cause ; causalité interne ; intelligibilité autonome (auto en grec : soi) ;
Etre « en autre chose » : avoir ses lois et son système de causes en autre chose que soi, à l’extérieur de soi ; causalité externe ; intelligibilité hétéronome (hetero en grec : autre) ;
Ax. 3 : Etant donnée une cause déterminée, il en suit nécessairement un effet, et, au contraire, s’il n’y a aucune cause déterminée, il est impossible qu’un effet s’ensuive.
Ax. 3, 4 et 5 : à eux trois, énoncent les axiomes de la causalité nécessaire sur les plans ontologiques et épistémologiques.
Toute cause produit nécessairement un effet (impossibilité d’une cause sans effet : être cause, c’est être cause efficiente – = produisant un/des effet(s) – nécessaire) ; réciproquement, tout effet est la conséquence nécessaire d’une cause (impossibilité d’un effet sans cause : être effet, c’est être nécessairement causé).
Version spinoziste du principe de causalité, tel que admis par la nouvelle science/philosophie de l’époque (rien n’est sans cause/raison : nihil est sine ratione).
Et tout résulte de causes « déterminées » : telle cause engendre tel effet, selon des lois, tout est nécessaire mais tout n’est pas possible (des pierres ne peuvent pas engendrer un homme, ni un arbre parler, etc. Voir notamment les ex. du scolie 2 de la proposition 8.). La causalité est une causalité nécessaire et déterminée, qui s’effectue selon des lois.
Dans la nature, il n’y a ni indétermination, ni contingence, ni hasard, ni miracle.
Ax. 4 : La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’enveloppe.
Pendant de l’axiome 3 sur le plan du connaître.
Qu’est-ce que connaître ? Concevoir les choses par leurs causes nécessaires, puisqu’elles sont elles-mêmes les effets nécessaires de ces causes (ax. 3).
L’ax. 3 et l’ax. 4 conjoints : dans la réalité, tout arrive et tout s’explique par des causes déterminées (« rationalisme absolu » et « intelligibilité intégrale » de l’univers spinoziste).
Ax. 5 : Les choses qui n’ont rien de commun entre elles ne peuvent pas non plus se comprendre l’une par l’autre, autrement dit, le concept de l’une n’enveloppe pas le concept de l’autre.
Limitation du connaître : on ne peut connaître une chose d’un certain genre par la connaissance d’une chose d’un autre genre (par ex. une réalité corporelle ne peut expliquer une réalité mentale). Il n’y a de connaissance qu’intra-attributive (de même qu’il n’y a de causalité modale qu’intra-attributive, comme l’établira la proposition 3).
En effet, réciproquement : les choses qui appartiennent à un même genre de réalité (par ex. les corps) étant en rapport causal entre elles, c’est les unes par les autres qu’on peut et qu’il faut les comprendre (seule une cause corporelle permet de connaître un effet corporel).
Ax. 6 : L’idée vraie doit convenir avec ce dont elle est l’idée.
Si une idée est vraie, alors elle « doit » convenir avec son objet (ce dont elle est l’idée).
Propriété nécessaire (axiome) et non pas définition de l’idée vraie : la vérité d’une idée sera définie par des critères internes (cohérence, non-contradiction, clarté et distinction), et non externes (adéquation avec l’objet).
Ax. 7 : Tout ce qui peut se concevoir comme non existant, son essence n’enveloppe pas l’existence.
Boucle sur la définition 1 : définit pour ainsi dire ce qui n’est pas cause de soi, ce dont l’essence n’implique pas l’existence, donc ce qui peut se concevoir (comme essence) comme non existant, comme existant ou non, ce qui n’existe pas nécessairement par soi.
On comprendra que c’est là le propre des modes que de ne pas exister nécessairement par eux-mêmes ni d’eux-mêmes : lorsqu’ils existent, ils existent nécessairement, mais d’une nécessité qui leur est largement extérieure. Autre chose que leur nature propre (Dieu/la substance + d’autres causes modales) les fait exister et agir.
Macherey insiste justement pour dire que cet axiome est celui de la « facticité » et non pas de la « contingence » car « toute chose a une cause, interne ou externe, par laquelle elle s’explique nécessairement » (62).
Conclusion sur les définitions et axiomes
Un univers qui fonctionne selon des lois déterminées : sériation nécessaire de causes et d’effets (ni mythologie, ni hasard, ni contingence).
Un univers en quelque sorte à 2 niveaux : l’univers des phénomènes, des effets (des modes, les choses qui sont en autre chose), et le système des lois dont ces effets sont les productions (ce qui est en soi, substance).
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