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Introduction au De Affectibus

La partie III de l’Ethique se donne pour but d’élaborer une théorie raisonnée/rationnelle des affects – disons des sentiments -, une géométrie de la vie affective, préalable indispensable à la constitution d’une éthique.

Le domaine de l’affectivité constitue une dimension spécifique du régime mental dont la partie II a énoncé les lois objectives, sur le plan plus spécifiquement cognitif. Il y a aussi une logique de l’affectivité, derrière l’apparent désordre de la vie affective : la vie affective n’est pas « irrationnelle » ni absurde.

La spécificité et la nouveauté de la théorie spinoziste des affects consistent précisément dans le principe central de considérer les affects comme des choses naturelles comme les autres, comme des effets réglés et ordonnés de la puissance de la nature, et pouvant en cela faire l’objet d’une étude pleinement rationnelle, dépourvue de tout jugement de valeur moral, en quelque sorte « clinique ».

Elle se distingue aussi par son horizon éthique, qui ne rêve pas d’un pouvoir absolu sur les passions : connaître les causes et les mécanismes des affects, c’est se donner les moyens pour ainsi dire de les tourner pour partie à notre avantage plutôt que d’en subir principalement les effets nuisibles.

La partie III comporte trois temps :

– préface polémique

– série de théorèmes (texte géométrique)

– affects élémentaires et fondamentaux

– fixation des affects sur des objets et extension des passions/complication des passions fondamentales

– « imitation des affects » : affects interhumains

– une sorte d’appendice : définition de chaque affect (en fait, une reprise, dans un autre style et avec certains déplacements, des définitions déjà construites dans les propositions antérieures) et une « définition générale » des affects.

Le terme « affectus »

Affectio, onis (« affection », modification) : toute modification d’un mode, quelle qu’elle soit. Il y a des affections de l’âme et des affections du corps.

Affectus, us (« affects ») : terme beaucoup plus restreint; ce que nous appelons aujourd’hui un « affect ».

Spinoza n’utilise pas ici le terme de « passion » (car tout affect n’est pas « passif » : il y a des affects actifs) ; affectus, terme assez rare dans la langue philosophique de l’époque, pourrait éventuellement être traduit par « sentiment ». Toutes les « passions » sont des affects, tous les affects ne sont pas des passions : c’est en cela que la théorie de l’affectivité trouve son enjeu et sa portée éthiques (comment réduire la part proportionnelle des affects passifs ?)

Parler d’affects plutôt que de « passions », c’est se placer dans une approche « clinique » et non morale – l’affect est un état ou une disposition de l’âme en tant que celle-ci est affectée de telle ou telle manière, rien de plus : traiter les affects humains comme des choses naturelles, comme des lignes, etc. (cf. Préface).

S’il y a des affects qui ne sont pas des passions, « cela signifie que l’affectivité n’exerce pas fatalement sur notre régime mental une influence perturbatrice, définitivement étrangère à sa fonction positive de compréhension rationnelle ; en d’autres termes, sensibilité et intelligence ne sont pas des facultés distinctes, potentiellement en conflit, mais leurs interventions, qui procèdent d’une seule et même source, la capacité qui est en l’âme de produire des affections purement mentales qui sont des idées (…), peuvent être harmonisées, et c’est sur cet effort d’harmonisation que s’appuiera le processus de libération décrit dans la 5e partie de l’Ethique. » (Macherey, 18).

Au fondement de l’affectivité se trouve le principe dynamique du conatus, dont la notion est introduite dans les propositions 6, 7 et 8 du De Affectibus.

Moreau souligne le double intérêt de cette partie à ses yeux :

1. fonde sur les parties 1 et 2 son étude des affects

Spinoza rencontre sur ce terrain des problèmes et notions largement (ré)élaborés depuis le XVIe siècle.

Au cours du XVIIe s., chacun des grands auteurs produit sa théorie des passions, et fonde sur celle-ci son anthropologie et souvent sa théorie politique. cf. en particulier Hobbes et Descartes.

2. Il s’agit d’une problématique frontière avec d’autres disciplines : théorie de la littérature, médecine, théologie, etc., dont on trouvera des traces ou des signes dans le texte de Spinoza.

Ce n’est pas un terrain neutre ni vierge, et, pour Moreau, Spinoza le sait et sait que son lecteur le sait.

Outre la très longue tradition de littérature morale, il faut souligner l’influence au XVIIe s. :

D’une part, d’une théologie des affects – de tendance calviniste et protestante – qui dénonce ceux-ci comme emportant l’homme du côté des vices et des péchés.

D’autre part, d’une philosophie cartésienne qui cherche à les comprendre à la manière des nouvelles sciences, mais qui aux yeux de Spinoza continue à véhiculer un certain nombre des illusions de la tradition morale et philosophique.

Tout ceci constitue la toile de fond du De Affectibus.

Voir aussi le résumé du De Affectibus par P.-F. Moreau.

Voir aussi le résumé du De Affectibus par Steven Nadler.

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