Les proposition 39 à 44 portent en particulier sur les sentiments en retour : « en retour » au sens de ce que les sentiments d’autrui à notre égard font naître en nous en retour, par « réplication ».
Prop. 39 : Qui a quelqu’un en Haine s’efforcera de lui faire du mal, sauf s’il a peur qu’en naisse un plus grand mal pour lui ; et, au contraire, qui aime quelqu’un, par la même loi s’efforcera de lui faire du bien.
demonstratio par 3, prop 13, sc | 3, prop 28 | 3, prop 37
Enonce le principal général de traduction des affects d’amour et de haine (pour les semblables) en terme d’efforts, de passage à l’acte : aimer, c’est s’efforcer de faire du bien à la personne aimée, de la favoriser pratiquement, de lui être bienfaisant ; inversement, haïr, c’est s’efforcer de faire du mal à la personne haïe (voire de détruire), d’être malfaisant à son égard.
L’effort pour faire du mal à celui que nous haïssons sera identifié comme ce que l’on appelle généralement « colère » (ira), dont la « vengeance » est un dérivé : cf. scolie du corollaire 2 de la prop. 40.
Moreau : la colère, c’est le paradigme de la passion pour les Anciens (colère d’Achille, etc.) ; pour les Modernes, c’est l’amour.
Ces deux plans – l’affect et l’effort qui lui correspond – ne doivent pas être conçus comme successifs mais comme simultanés et ne faisant qu’un : l’affect est toujours déjà effort (dynamisme des affects), comme l’avait déjà énoncé le scolie de la prop. 13 (mobilisé par la démonstration), définissant l’amour et la haine.
Cette loi générale comporte cependant une restriction (valable pour les deux cas), qui vient en compliquer les effets : « sauf s’il a peur qu’en naisse un plus grand mal pour lui ». La restriction relève d’une comparaison – quantitative, en termes d’intensité – entre un bien espéré – la joie tirée du mal/bien fait à la personne haïe/aimée – et un mal redouté – la tristesse qui pourrait être la conséquence de cet acte, comparaison s’opérant elle-même sous le régime de l’imagination (« peur »). S’il s’avère que le mal en retour redouté est estimé plus grand que la joie espérée par l’acte malfaisant, l’affect de haine ne se traduira pas en effort de malfaisance, celui-ci se trouvant alors contrebalancé et surpassé par un effort de plus grande intensité en vue d’écarter le mal redouté.
Ainsi, au sein d’un conflit affectif – cas de fluctuatio animi -, l’arbitrage, s’il a lieu, s’opère selon les degrés d’intensité respectifs des affects concernés : l’affect le plus fort l’emporte sur le plus faible. Avec toutefois une dissymétrie fondamentale, qui sera plusieurs fois soulignée : le conatus tend constitutivement à la joie, ce qui confère dans certains cas aux passions joyeuses une forme d’efficacité supérieure (cf. le rôle récurrent de la prop. 25)
Rôle de la « peur » (timor) comme forme primaire et minimale de raison au sein des passions – tendance à recherche le moindre mal : cf. la prop. 65 de la partie IV, qui démontre que « sous la conduite de la raison, nous rechercherons de deux biens le plus grand, et de deux maux le moindre ».
L’affect de peur entraine mécaniquement une forme sommaire de calcul (un calcul « coût / avantage »), qui parvient à inhiber l’effort destructeur qui accompagne en principe l’affect de haine. C’est en cela que la peur peut être parfois une « bonne conseillère », du moins dans ses effets : elle me retiendra par ex. de me venger, par peur d’être arrêté ou d’y perdre moi-même la vie. Rôle dissuasif de la peur, mécanisme affectif permettant une abstinence, une discipline, et donc une forme rudimentaire de contrôle sur les affects. Mais elle est généralement « mauvaise conseillère » dans la mesure où l’estimation comparée qu’elle effectue se fait sous le régime de l’imagination et de son inadéquation.
Moreau : Spinoza est très proche ici de Hobbes ; la peur est le sentiment essentiel; elle règne entre les hommes, surtout à l’état de nature; considère que c’est déjà le début de la raison (juridique); substitut et fiction de la raison dans la vie collective. Chez Spinoza : même logique au sein de la vie individuelle.
Démonstration
Applique la prop. 28 (qui concernait les affects primaires de joie/tristesse) aux affects secondaires d’amour/haine.
Remonte d’abord aux définitions de l’amour/haine (Eth III, 13, scolie) comme joie/tristesse, puis en déduit par la prop. 28 l’effort pour écarter/détruire, donc faire du mal à la cause supposée de la tristesse, c’est-à-dire à la chose haïe elle-même.
Démontre ensuite la restriction : Identifie d’abord avoir peur d’un plus grand mal pour soi et avoir peur d’une plus grande tristesse ; cette tristesse redoutée, il sera fait effort pour la contrecarrer (toujours par la prop. 28), et l’effort qui en est la cause – effort de malfaisance – sera ainsi combattu par un effort contraire (conflit) ; l’arbitrage se fera alors selon l’intensité des affects : en vertu de la prop. 37 (règle générale de proportionnalité affective), la tristesse redoutée étant supposée plus grande que la joie espérée, l’effort qui l’accompagne surpassera l’effort initial, ce qui de fait le réprimera.
Scolie
Poursuit la redéfinition spinoziste des catégories de « bien » et de « mal », entamée en particulier dans le scolie de la prop. 9 de De Affectibus (mais aussi dès l’Appendice du De Deo, puis poursuivie de manière plus développée et argumentée dans la préface de la partie IV): il n’y a pas de bien et de mal en soi, c’est en fonction de nos affects et de nos désirs que nous les déterminons et nommons, et non l’inverse.
Association « bien » et « tout genre de joie », directe ou indirecte (« tout ce qui y contribue »), bref toute la lignée des affects de joie ; surtout la « frustration » (Macherey) ou « souhait frustré » (Appunh) ou « regret » (desiderium) : cf. Eth 3, 36 scolie et définition 32.
Desiderium : symétrique du regret à l’égard du futur (attente)
Pourquoi surtout ? On le comprendra peut-être avec la prop. 44…
Le jugement et son calcul – absolu, comparatif, superlatif – est d’abord indexé sur nos affects : ce qui est bien/utile / ce qui est meilleur (comparatif) / ce qui est le meilleur (superlatif).
Définition de la « peur » (timor) : un genre particulier de « crainte » (metus, tristesse à l’égard d’un futur incertain, cf. définition 13), qui pousse l’homme à préférer le moindre mal.
Dérivé de la « peur », lorsque celle-ci redoute la tristesse de la honte : « réserve » (Macherey) ou « pudeur » (verecundia), déjà évoquée dans l’explication de la définition 31 de la honte.
Démultiplication conflictuelle et graduelle des effets de la restriction énoncée par la proposition : lorsque la « peur » se double d’une nouvelle « peur » : « affolement » (Macherey) ou « épouvante » (consternatio).
Prop. 40 : Qui imagine être haï de quelqu’un, et croit ne lui avoir donné aucune raison de haine, l’aura en haine en retour.
demonstratio par 3, prop 27 | 3, prop 13, sc
1er cas de « reflux » (Macherey) ou de « réciprocation » des affects (reciprocatio).
Réciprocation/reflux des sentiments que je prête à autrui envers moi : ici (prop + scolie + corollaires), la haine que j’imagine qu’autrui me porte.
Dans l’énoncé de la prop. elle-même : cas de la haine jugée injustifiée.
La prop. suivante (41), qui doit être associée à celle-ci, portera sur le cas symétrique de l’amour injustifié.
Démonstration
S’appuie d’abord sur l’imitation affective définie par la prop. 27 : imaginer la haine d’autrui (quel qu’en soit l’objet), c’est ressentir soi-même de la haine à son tour, par imitation.
Or, par hypothèse, nous ne considérons pas nous-mêmes comme la cause extérieure de la tristesse d’autrui, ni donc non plus comme la cause indirecte de notre tristesse imitative : autrui – ou plutôt sa haine à notre égard – est alors pris comme cause extérieure de notre tristesse imitative, et donc haï en retour.
Scolie
1e variation : Se place dans le cas du sentiment de haine justifiée à mon endroit : dans ce cas, je me prends pour la cause indirecte de ma tristesse en retour, ce qui correspond à la définition de la « honte » (pudor, Eth 3 prop 30 scolie et déf. 30 des affects) comme tristesse accompagnée de l’idée d’être blâmé par autrui (elle-même proche du « repentir », comme tristesse accompagnée de l’idée de nous-mêmes comme cause : déf. 31 des affects). Dans ce cas, nous tendons donc à nous haïr nous-mêmes.
Mais, ajoute Spinoza, « cela arrive rarement » : nous avons rarement honte de nous-mêmes, ce qui signifie qu’il est donc bien plus fréquent que nous considérions la haine que l’on nous porte comme injustifiée, selon le schéma de la proposition 40 elle-même. Plus loin, le scolie de la prop. 41 soulignera, réciproquement, que le sentiment de gloire/fierté est plus fréquent en nous que celui de honte.
Pourquoi ? En raison de la dissymétrie produite par le conatus – tourné vers la joie plutôt que vers la tristesse -, et reprise par la prop. 25 : nous sommes spontanément portés à éviter la tristesse supplémentaire et rapportée à nous-mêmes – cette forme de haine de soi – en quoi consiste la honte. Il nous coute moins de la tourner vers autrui : « c’est de sa faute ».
Cette tendance à ne pas nous reconnaître volontiers comme responsable de la haine qui nous est portée – cette « mauvaise foi » depuis longtemps dénoncée par les moralistes – n’est cependant pas pour Spinoza un défaut, une faiblesse ou un vice de la nature humaine : elle s’explique mécaniquement et nécessairement à la fois par l’imitation affective (prop. 27 et suivantes) et par l’orientation de principe du conatus vers la joie.
2e variation : cas de la haine en retour en l’absence même du critère de justification ; la réciprocation de la haine peut s’expliquer aussi en termes d’effort, à l’aide la prop. 39, et sans qu’intervienne aucun jugement sur la cause de la haine d’autrui à notre égard.
Imaginer autrui nous haïssant, que cette haine nous paraisse justifiée ou non, c’est l’imaginer faire effort pour nous faire du mal, et donc redouter ce mal dont autrui serait alors la cause : bref, c’est ressentir de la « crainte » (metus) à l’égard des actes possiblement malveillants d’autrui, ce qui est une forme de haine à son endroit.
On est ici assez proche de Hobbes et du rôle central que celui-ci attribue à la crainte mutuelle qu’éprouvent les hommes à l’état de nature.
Corollaire 1
3e variation : s’imaginer haï par une personne que l’on aime ; cas de fluctuatio animi.
Cas particulièrement pénible et déstabilisant, dans la mesure où lorsque nous aimons quelqu’un nous nous attendons à être aimé de lui en retour (comme l’a montré la prop. 33).
La haine en retour va venir s’ajouter à l’amour premier et le contrarier.
Le corollaire de la prop. suivante établira le cas inverse : s’imaginer aimé par une personne que l’on aime.
Corollaire 2
4e variation : cas de la « rancune » (Macherey) ou « vengeance » (vindicta)
Variation en termes d’effort : tendance à rendre le mal pour le mal, le « même » mal et dans une proportion équivalente.
Fondement affectif de l’engrenage sans fin de la vengeance et de la contre-vengeance.
Scolie
Identifie l’effort de « colère » (ira) et l’effort de « vengeance » (vindicta), repris dans les définitions 36 et 37 des affects.
Prop. 41 : Si quelqu’un imagine être aimé de quelqu’un, et croit n’avoir donné aucune raison pour cela, il l’aimera en retour.
Même voie démonstrative que la précédente.
2er cas de « reflux » (Macherey) ou de « réciprocation » des affects (reciprocatio).
Réciprocation/reflux des sentiments que je prête à autrui envers moi : ici (prop + scolie + corollaire), l’amour que j’imagine qu’autrui me porte.
Dans la prop. elle-même, cas de l’amour sans justification : lorsque nous nous sentons aimé d’une personne, et que nous ne nous considérons pas comme la cause de l’amour qu’il nous porte, nous attribuons la cause de la joie que nous ressentons alors par imitation à autrui lui-même, c’est-à-dire que nous l’aimons en retour.
Démonstration
L’amour dont autrui nous paraît affecté provoque en nous un sentiment d’amour par imitation affective, c’est-à-dire une joie accompagnée de l’idée d’une certaine cause.
La cause de la joie d’autrui n’étant pas identifiée par nous comme étant nous-mêmes (par hypothèse), c’est cette joie elle-même qui est prise par nous comme cause de notre joie imitative : autrement dit, nous aimons autrui (nous aimons son amour pour nous, la joie qu’il associe, à tort, à nous), et non pas nous-même (à la différence du cas évoqué dans le scolie : « gloire »).
Scolie
1e variation : cas de l’amour qui nous paraît justifié ; produit l’affect de « fierté » ou « gloire » (gloria), de la même manière que, dans le scolie de la prop. précédente, le cas de la haine justifié produisait l’affect de « honte ».
Spinoza souligne que ce cas, quoique symétrique au précédent, est cependant « plus fréquent » : nous sommes plus souvent portés à la fierté qu’à la honte, du fait de l’orientation privilégiée du conatus vers la joie (prop. 25), comme l’avait déjà signalé le scolie de la prop. 40.
Macherey : « nous estimons le plus souvent que le mal qu’on pourrait nous faire est immérité, alors que, instinctivement, nous trouvons parfaitement normal qu’on nous veuille du bien. » (287)
Nomme cet affect d’amour en retour, et les efforts qui l’accompagnent – tendance à rendre les bienfaits -, « gratitude » (gratitudo) ou « reconnaissance » (gratia).
Cf. aussi définition 34 des affects.
Macherey souligne que ce sentiment est « tout sauf désintéressé » (287) : « c’est dans l’attente des bénéfices que nous escomptons tirer de notre relation avec des personnes que nous aimons sans les aimer que nous sommes disposés à leur accorder nos propres faveurs ».
Spinoza souligne enfin, logiquement, que la propension naturelle des hommes à l’ingratitude et à la vengeance (rendre les méfaits) est plus grande que celle les portant à la gratitude. Il n’y a là ni vice, ni vertu, mais seulement des mécanismes affectifs nécessaires et automatiques.
Corollaire
2e variation : Symétrique du corollaire 1 ; nouveau cas de fluctuatio animi, dans lequel l’on s’imagine aimé par une personne que l’on hait, ce qui produit en nous la présence simultanée d’une haine (directe) et d’un amour par réplication (même démonstration que le corollaire 1 de la prop. 40).
Scolie (du corollaire)
3e variation (à l’intérieur de la 2e) : si l’affect de haine l’emporte sur l’affect d’amour en retour, cette haine se transforme en « cruauté » (crudelitas), définie comme l’effort pour faire du mal à quelqu’un que nous haïssons mais dont on pense qu’il nous aime.
La cruauté est ainsi une forme particulière de malveillance, qui s’exerce à l’égard d’une personne qui nous aime et nous veut du bien.
Cf. définition 38 des affects, qui, cependant, inscrit cette logique dans le cadre d’une situation triangulaire et non plus duelle.
« surtout si l’on croit… » : attitude d’autant plus cruelle que la haine paraitra injustifiée.
Prop. 42 : Qui a, mû par Amour ou espérance de Gloire, fait du bien à quelqu’un, sera triste s’il voit son bienfait reçu d’une âme ingrate.
demonstratio par 3, prop 33 | 3, prop 34 | 3, prop 30, sc | 3, prop 12 | 3, prop 19
Cette proposition prolonge et enrichit les situations précédentes « en examinant ce qui se passe lorsque s’introduit un dysfonctionnement dans le déroulement du processus d’échanges de services entre personnes que lie un rapport affectif fondé sur l’imagination » (Macherey, 289).
Lorsque l’on fait du bien à autrui, l’on s’attend spontanément à sa reconnaissance/gratitude, telle que définie par le scolie de la prop. précédente. Si cette attente est déçue, un affect de tristesse naît de cette déception et vient contrarier l’affect de joie initial (cas de fluctuatio animi).
En réalité, c’est ce qui se passe le plus souvent (cf. proposition précédente).
Démonstration
S’appuie essentiellement sur la prop. 33 qui énonce la tendance à vouloir être aimé en retour, par réplication.
Cette tendance est contrariée, par hypothèse, par l’ingratitude supposée de l’être aimé : d’où la production de tristesse.
Affleurent ici certaines des limites de ce commerce affectif et des rapports de réciprocité entre hommes, en tant qu’ils sont gouvernés par la logique imaginaire : les attentes que nous portons spontanément les uns à l’égard des autres nous entrainent tous ensemble dans des rapports de dépendance, de dettes réciproques, de calculs, de comparaison, etc., qui ont toutes les chances de déboucher principalement sur des conflits.
Dans la proposition 70 du De Servitute, dont la démonstration s’appuiera notamment sur la prop. actuelle, Spinoza démontrera que l’homme conduit par la raison doit se tenir autant que possible à l’écart de ces échanges, et surtout se protéger à l’égard des services et des bienfaits que voudraient lui rendre les « ignorants ».
Prop. 43 : La Haine est augmentée par la haine réciproque, et l’Amour en retour peut la détruire.
demonstratio par 3, prop 40 | 3, prop 30 | 3, prop 29 | 3, prop 41 | 3, prop 37 | 3, prop 26
Effets symétriques contraires des affects réciproques : la haine est soit augmentée par la haine réciproque, soit diminuée voire détruite par l’amour réciproque, selon la proportion des affects en cause.
Démonstration
Commence par le cas de la haine réciproque : dans ce cas, une seconde haine (justifiée par la prop. 40) s’ajoute à la haine première.
Poursuit par le cas d’un amour réciproque qui vient s’opposer à la haine première (cas de fluctuatio animi) : cet amour réciproque enclenche une série d’affects joyeux et d’efforts, qui produit chez celui qui en est l’objet à son tour un amour réciproque pour celui qu’il hait.
Selon la force respective de la haine initiale et de cet amour réciproque, celui-ci pourra prévaloir sur celle-là et la détruire.
Fondement absolument mécanique et impersonnel qui permet de comprendre comment l’amour peut parfois renverser la haine : il n’y a ici ni bons sentiments, ni pardon, etc.
Cette « convertibilité » générale des sentiments – l’amour comme la haine pouvant se retourner en leur contraire – est la source de l’asservissement et des conflits mutuels des hommes, comme le soulignera le scolie de la prop. 49. Mais elle constitue aussi une opportunité pour échapper à de tels conflits, la haine pouvant être vaincue par l’amour : la prop. 46 du De Servitute soulignera que l’homme raisonnable doit s’efforcer autant que possible de rendre amour pour haine.
Prop. 44 : La Haine entièrement défaite par l’Amour se change en Amour ; et l’Amour, pour cela, est plus grand que si la Haine ne l’avait pas précédé.
demonstratio par 3, prop 38 | 3, prop 13, sc | 3, prop 28 | 3, prop 21 | 3, prop 37 | 3, prop 33 | 3, prop 13, cor | 3, prop 23 | 3, prop 11, sc
Prolonge la prop. 43, en la généralisant : transformation de la haine en amour.
Cet amour issu d’une haine surmontée sera d’autant plus fort qu’était forte la haine initiale.
Démonstration
Même principe que celle de la prop. 38, qui démontrait le cas inverse d’un amour contrarié et aboli par une haine, et d’autant plus fort que l’amour initial l’était. Dans ce cas, deux haines se superposent et s’additionnent : la haine de la chose en question + la haine issue de la contrariété de l’amour porté initialement à cette chose.
Ici, deux amours/joies se superposent et s’additionnent : l’amour et la joie nouvellement ressentis + la joie née de l’aide apportée à l’effort pour éloigner la tristesse initiale.
Scolie
Prévention de Spinoza à l’égard d’une fausse interprétation : la prop. 44 n’implique pas que l’on tende à haïr une chose – ou à s’attrister – dans le but de profiter ensuite d’une joie plus grande : le conatus est par principe orienté vers la joie, et est prioritairement effort pour écarter la tristesse, ce qui exclut la possibilité d’un tel calcul.
Théâtre du 18e (Moreau) : scènes de dépit amoureux dans les pièces de Marivaux par ex. Les amants s’aiment d’autant plus qu’il se sont un instant détestés dans les scènes de dépit.
Impossible que cela soit fait exprès, selon Spinoza : on ne s’engage pas volontairement dans un processus de haine dans le but d’un amour ultérieur plus fort.
Analogie avec la maladie et la santé.
Macherey : « En effet, la santé n’est pas une déficience surmontée : même si le fait de surmonter une déficience provoque un plaisir spécifique, celui-ci n’a pourtant rien à voir avec la satisfaction que procure normalement le bon état du corps. De même, l’amour n’est pas une haine maîtrisée, qu’une sorte de miracle dialectique aurait retournée en son contraire. Dans la logique de la pensée de Spinoza, telle que l’ont en particulier caractérisée les prop. 4 et 5 du De Affectibus, la négation d’une négation ne dégage pas un solde uniment positif, mais cette procédure demeure jusqu’au bout affectée par la négativité qui en constitue le moteur. » (292).
Démonstration, ensuite, par l’absurde : si c’était possible, cela entrainerait chacun dans le cercle vicieux d’une recherche toujours plus grande de tristesse/haine, ce qui est contraire à l’élan fondamental du conatus, tel que définit par la prop. 6 de la partie 3.
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