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Lecture de la préface, des définitions et des postulats du De affectibus

PREFACE

L’approche habituelle des affects (passions, sentiments) humains est faussée/biaisée dans la mesure où l’homme est généralement considéré à tort comme « un empire dans un empire », c’est-à-dire comme ne suivant pas les lois communes de la nature, comme un être « extra-naturel », ayant toute puissance sur ses actions, doté d’un libre-arbitre.

« Imperium in imperio » (formule très citée de Spinoza) : mot à mot, comme « un Etat dans l’Etat », comme une faction, comme un parti qui s’affranchit des lois communes de la société civile. Existence d’une autonomie de lois propres.

Ce préjugé, qui dote l’homme de pouvoirs extraordinaires, a pour conséquence paradoxale de souligner l’impuissancedes hommes à gouverner leurs passions, leurs défauts, et d’interpréter, d’un point de vue moral et moraliste, l’inconstance des hommes comme relevant d’un « vice » de la nature humaine. D’un tel point de vue, l’homme apparaît comme un être à part, « merveilleux et monstrueux à la fois » (Macherey, 15-16). Ce faisant, on s’est retiré d’avance toute possibilité de les « comprendre » (intelligere), de les rendre intelligibles, et par là toute chance d’accroître notre puissance/pouvoir sur eux.

Et c’est pourquoi la description et l’étude des affects humains prennent la plupart du temps la forme d’une dénonciation, d’une satire, voire d’une condamnation.

Le lien entre les affects et la conduite de la vie est traditionnel : conduire sa vie, c’est gouverner ses passions/affects. Mais Spinoza va comprendre ce lien d’une toute autre façon : ses « adversaires » le comprennent à partir d’une illusion selon laquelle il y aurait une part de la vie humaine qui échapperait à la nécessité naturelle. Si l’homme ne parvient pas à gouverner ses affects, c’est que les affects humains ne seraient pas soumis au rapport de nécessité (absence de nécessité, ou nécessité locale/relative)., à la manière dont le sont par ex. les chutes de corps.

Thèses principalement visées par Spinoza :

– il y a un ordre de la nature, mais l’homme serait extérieur à cet ordre et même le perturberait (jugement de valeur : les affects sont une injure à l’ordre naturel); situation de vice de l’homme par rapport à l’ordre naturel;

– l’homme aurait un pouvoir absolu sur ses passions (le libre-arbitre) ; sur le plan psychologique, il est supposé libre. S’il cède à ses passions, c’est donc de sa faute ; il pourrait aussi bien décider de ne pas céder à ses passions.

2 effets imaginaires de ce pouvoir imaginaire : les passions s’expliquent par le consentement de l’homme à les subir ; la victoire sur les passions ne dépend que de lui-même (de sa « volonté »).

Ceci contrarie les faits d’expérience qui montrent les déchirements (fluctuation, variabilité, inconstance) des hommes et leur impuissance.

2 traditions mêlées ici :

– une tradition récente : la nouvelle philosophie.

– une tradition morale plus ancienne : faiblesse et servitude humaine.

Spinoza adhère au constat sur l’inconstance et la servitude humaines, mais il n’est pas d’accord sur les causes : Spinoza refuse l’idée qu’il y ait là un vice, un défaut de la nature (humaine). L’explication par le défaut ne peut que tourner au jugement de valeur et aux discours de type satirique, mélancolique, voire haineux.

Texte parallèle au début du Traité politique, chapitre premier, § 1 : il faut expliquer la nature humaine par ses causes naturelles pour faire une philosophie politique.

« Les philosophes conçoivent les affections qui se livrent bataille en nous, comme des vices dans lesquels les hommes tombent par leur faute, c’est pourquoi ils ont accoutumé de les tourner en dérision, de les déplorer, de les réprimander, ou, quand ils veulent paraître plus moraux, de les détester. Ils croient ainsi agir divinement et s’élever au faîte de la sagesse, prodiguant toute sorte de louanges à une nature humaine qui n’existe nulle part, et flétrissant par leurs discours celle qui existe réellement. Ils conçoivent les hommes en effet, non tels qu’ils sont, mais tels qu’eux-mêmes voudraient qu’ils fussent : de là cette conséquence, que la plupart, au lieu d’une Éthique, ont écrit une Satire, et n’ont jamais eu en Politique de vues qui puissent être mises en pratique, la Politique, telle qu’ils la conçoivent, devant être tenue pour une Chimère, ou comme convenant soit au pays d’Utopie, soit à l’âge d’or, c’est-à-dire à un temps où nulle institution n’était nécessaire. Entre toutes les sciences, donc, qui ont une application, c’est la Politique où la théorie passe pour différer le plus de la pratique, et il n’est pas d’hommes qu’on juge moins propres à gouverner l’État, que les théoriciens, c’est-à-dire les philosophes. »

Spinoza fait en quelque sorte une double réserve : certains de ses prédécesseurs se sont un peu écartés de cette tradition, sans aller assez loin, faute de partir du bon terrain (métaphysique).

  1. à côté de la satire et de la détestation, on trouve dans la tradition littéraire et philosophie de belles et prudentes choses sur la conduite de la vie humaine : certains « dictamina rationnis » utiles.

Une partie de l’héritage moral depuis l’antiquité.

Mais aussi passages attribués à Salomon (TTP), une partie de la littérature sapientiale (Bible/AT).

Aussi littérature latine, dont on trouve des traces dans le cours de la partie III, et dans toute l’Ethique.

Mais cet héritage partiel se limite à l’analyse de la conduite : il y manque l’analyse des affects eux-mêmes et de leur force.

  1. Descartes et son traité des « Passions de l’âme » : connaissance rationnelle des passions par leurs 1e causes.

La limite de la perspective cartésienne consiste dans sa doctrine du libre-arbitre, conçu comme pouvoir absolu. L’analyse réelle des affects interdit de croire à un tel pouvoir absolu de l’âme : l’entreprise cartésienne est contradictoire.

Le pouvoir de l’âme sur les passions existe (cf. partie 5) mais est tout relatif.

Macherey : le De affectibus  est en quelque sorte écrit dans les « marges » des Passions de l’âme de Descartes.

Spinoza se donne au contraire comme tache dans cette partie III d’aborder les affects humains – actions et appétits – comme toutes les autres réalités naturelles, selon la méthode géométrique, « comme s’il était question de lignes, de plans ou de corps ».

Les affects (humains et autres) sont des « choses » naturelles, c’est-à-dire soumises aux mêmes lois, à la même causalité et rationalité que toutes les autres choses, et la perspective de Spinoza consiste donc pour ainsi dire à les banaliser, à les « naturaliser » ou renaturaliser, contre une tradition dominante qui en les dénaturalisant les a aussi dénaturés.

Il s’agit de les expliquer par leurs causes.

Expliquer : premièrement, par les formes générales de la nature humaine, qui contiennent la base physiologique et psychologique des affects ; deuxièmement, pour rendre compte des différences individuelles entre hommes, expliquer pourquoi certains hommes ont certaines passions et non d’autres (complexions particulières).

De ce point de vue, ceux qui sont généralement décrits comme des « vices » (haine, colère, envie, etc.) se montrent comme relevant de la même nécessité et « vertu » de la nature (réalité = perfection), des propriétés objectives et permanentes de la nature humaine : considérés en eux-mêmes, ce sont des productions naturelles qui peuvent même être en un sens admirées (Macherey rapproche ceci de la « délectation » éprouvée par Spinoza au spectacle de combats d’araignée, 14).

Vieille thématique philosophique de l’égale dignité des objets de réflexion et du plaisir pris à leur connaissance, déjà développée par Aristote (début des « Parties des animaux ») lui-même reprenant Héraclite (« là aussi, il y a des dieux / du divin »).

Spinoza la pousse un peu plus loin : la vertu humaine consiste à comprendre.

C’est encore et toujours la puissance de la nature est derrière la supposée « impuissance » de l’homme : ce qui nous apparaît comme impuissance relève bien de la production d’effets en quoi consiste la puissance de la nature.

L’ivrognerie peut être vue comme un vice. Mais cette ivrognerie peut aussi être vue comme un effet « positif », réel et nécessaire, de la nature, à la manière dont une maladie est le résultat ou l’effet de certains virus, etc.

Terme de « nature », dans le lexique conceptuel de Spinoza : cf. en particulier la partie I ; la nature, c’est à la fois le principe de production d’un système de lois (nature naturante), et ce système de lois lui-même en tant qu’il fonctionne et produit les choses naturelles et leurs modifications (nature naturée).

Il n’y a qu’un seul système de lois de la nature et toute chose y est soumise. La nature est partout la même, mais ne cesse de changer de visage, selon des lois immuables.

Distinction à relever entre ce qui se transforme et ce qui ne se transforme pas : univers à la fois en perpétuelle constance et en perpétuelle transformation.

Un univers à la fois classique et baroque (Moreau) : règne du mouvement réglé, du devenir permanent sous des lois constantes.

Les choses de l’univers ne cessent de se transformer, mais elles se transforment perpétuellement en fonction de lois qui sont elles-mêmes fixes. Les choses ne se transforment pas n’importe comment.

De ce point de vue, les choses artificielles font partie des choses naturelles.

De ce point de vue, il n’y a pas de choses « hors de la nature », sauf dans l’imagination. Ceci a déjà été démontré dans Ethique I.

Et l’inconstance des phénomènes elle-même, leur désordre, leur anomie apparente n’est ni irrationnelle ni anti-naturelle.

Tous les tenants de la nouvelle philosophie du XVIIe s. admettent que ce qui se produit dans l’univers suit des lois de la nature : la physique de Kepler, Galilée et Descartes ont montré que les phénomènes physiques ne se produisent pas au hasard, de manière contingente. Mais ce que Spinoza apporte de nouveau dans Ethique I par rapport à la nouvelle physique de son temps : dire que RIEN n’échappe aux lois de la nature.

Psychologie et morale étudient également de telles choses naturelles, obéissant à des lois. La même méthode géométrique doit donc être appliquée aux affects : pas d’autre discours rationnel/raisonnable à tenir.

Soulignons pour finir la perspective éthique/pratique : comprendre les affects par leurs causes (nature et origine), c’est se donner les moyens, et c’est même déjà commencer d’acquérir sur eux une forme de contrôle. La méthode géométrique, là encore, est en elle-même une voie de libération éthique.

Il ne s’agit pas non plus d’apprendre à « aimer » ou à « accepter » les passions : pour Moreau, il n’y a pas d’amor fati comme chez les Stoïciens : il n’y a pas de raisons de se réjouir des malheurs.

Pas de réconciliation chez Spinoza avec les effets nuisibles des choses : il faut les connaître ; leur connaissance est en elle-même vertu et s’accompagne d’un progrès dans leur utilisation.

 

DEFINITIONS

Déf. 1 : J’appelle cause adéquate celle dont l’effet peut se percevoir clairement et distinctement par elle. Et j’appelle cause inadéquate, autrement dit partielle, celle dont l’effet ne peut se comprendre par elle seule.

Une chose peut être reconnue soit comme cause adéquate soit comme cause inadéquate de ses effets.

La distinction adéquat/inadéquat qui servait à caractériser les idées dans la partie II est ici réintroduite à propos des causes : ainsi le rapport de causalité lui-même semble pouvoir se produire de manière adéquate ou inadéquate. Ainsi il apparaît que les idées adéquates/inadéquates, qui représentent des choses de manière conforme ou non, correspondent « à des actes aboutis ou inaboutis » (Macherey, 35), par lesquels une chose accomplit sa nature de manière totale ou partielle, parfaite ou imparfaite.

Macherey : « ce qui, en théorie, se pense clairement s’effectue, en pratique, adéquatement ; et inversement, ce qui se pense confusément s’effectue inadéquatement. » (35).

Dans cette théorie de la puissance, produire des effets peut donc s’opérer de manière plus ou moins complète.

Cela peut paraître surprenant dans la mesure où le De Deo a démontré qu’il est de la nature de toute chose de produire tous ses effets (Eth I, 36). De même, la définition 6 du De Mente a affirmé l’identité de la perfection et de la réalité : cela exclut l’hypothèse d’une puissance comprise comme virtualité inaccomplie.

Ainsi, être cause adéquate ou inadéquate de ses actes/effets, « ce n’est pas être en mesure ou empêché de produire tous les effets de sa puissance, mais c’est produire ces effets dans des conditions telles qu’ils s’expliquent plus ou moins complètement à partir de la nature ou essence de leur cause » (Macherey, 36) : dans tous les cas, tous les effets se produisent, mais suivant les cas ces effets se comprennent entièrement ou seulement en partie à partir d’une cause, parce qu’ils mettent en jeu d’autres causes.

Agir comme cause adéquate, c’est agir à la manière d’une cause libre, telle que définie dans la proposition 17 du De Deo(et de son corollaire 2). Inversement, agir par contrainte, agir comme une « chose contrainte » (coacta res), c’est être compris comme cause inadéquate de ses effets.

Et il s’agit ici d’abord de l’action possible, de la puissance d’une âme (humaine) : l’enjeu éthique consistant précisément dans la perspective d’un fonctionnement de l’âme comme cause adéquate de ses idées.

Déf. 2 : Je dis que nous agissons [agere], quand il se fait en nous ou hors de nous quelque chose dont nous sommes cause adéquate, c’est-à-dire (par la déf. Précédente) quand de notre nature il suit, en nous ou hors de nous, quelque chose qui peut se comprendre clairement et distinctement par elle seule. Et je dis au contraire que nous pâtissons, quand il se fait en nous quelque chose, ou quand de notre nature il suit quelque chose, dont nous ne sommes la cause que partielle.

Distinction entre « action » et « passion », activité et passivité, fondée sur la définition 1 des causes adéquate et inadéquate.

Activité et passivité – cause adéquate et inadéquate – définissent ainsi les deux grands pôles de l’affectivité, « l’espace polarisé » dans lequel va se déployer toute la partie III.

Il s’agit d’un continuum : la passivité n’est pas le pur contraire de l’activité, mais une activité partielle (de même que l’idée inadéquate est une idée adéquate confuse et mutilée).

La distinction entre action et passion ne passe pas entre les effets extérieurs et les effets intérieurs (« en nous » ou « hors de nous »)

Cette distinction ne fait pas intervenir non plus la moindre idée d’initiative, d’intentionnalité ou de subjectivité (caractère impersonnel : « il suit », « il se fait »).

Macherey (38) : « est action à l’égard de sa cause le processus qui s’explique intégralement, donc clairement et distinctement, à partir de cette cause ; est passion au contraire celui qui ne s’explique qu’en partie, donc confusément, à partir d’elle, parce que, pour le comprendre, il faut faire aussi intervenir la considération d’autres causes. »

Moreau souligne l’écart avec Descartes :

Chez Descartes, ce qui est action dans l’âme est passion dans le corps, ce qui est passion dans l’âme est action dans le corps.

Ici, passion et action sont simultanément dans le corps et dans l’âme.

Déf. 3 : Par Affect, j’entends les affections du Corps, qui augmentent ou diminuent, aident ou contrarient, la puissance d’agir de ce Corps, et en même temps les idées de ces affections.

Si donc nous pouvons être cause adéquate d’une de ces affections, alors par Affect j’entends une action ; autrement, une passion.

Affectus: à la fois modification dans le corps en termes de variation de puissance, et l’idée de cette modification dans l’âme. Coïncidence d’une affection du corps et de l’idée de cette affection telle qu’elle se produit simultanément dans l’âme (l’âme étant l’idée du corps).

Macherey : C’est « dans la vie affective que la convertibilité absolue et l’indissociabilité des événements corporels et des événements mentaux se réalisent de la manière la plus manifeste » (41).

Mais l’affect ne désigne pas n’importe quelle affection du corps (il y a donc potentiellement des affections du corps qui ne sont pas des affects) : seulement celles par lesquelles la puissance d’agir de ce corps est augmentée ou diminuée.

L’affect, c’est la variation de la puissance d’agir sous l’action des affections du corps : exister, c’est d’abord avoir conscience et éprouver ces variations.

Cf. « Définition générale des affects » : « Un Affect, dit Passion de l’Âme, est une idée confuse par laquelle l’Âme affirme une force d’exister de son Corps, ou d’une partie d’icelui, plus grande ou moindre qu’auparavant, et par la présence de laquelle l’Âme elle-même est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre ».

Cette puissance d’agir sera explicitée par le premier postulat qui suit : il s’agit d’une puissance d’affecter et d’être affecté de multiples manières, qui peut varier en intensité depuis une puissance minimale jusqu’à une puissance maximale, tout en restant une puissance, l’idée d’une puissance de subir étant absurde.

Le terme « affect » est général, action et passion sont les deux termes particuliers désignant les deux polarités des affects : le chemin éthique ne consistera pas à opposer l’affectif à ce qui ne l’est pas (le rationnel), mais à distinguer affects passifs et affects actifs (le fonctionnement de la raison elle-même produit des affects, actifs).

Les variations de cette puissance d’agir constituent le fond de la vie affective et de son inconstance.

Macherey : « la vie affective est entièrement faite de ces innombrables chocs ou secousses, le plus souvent imperceptibles, qui font monter ou descendre la tension de notre régime mental, à mesure que varie simultanément la tension de notre régime corporel. » (43, n. 1). L’affect est une sorte de « potentiomètre » de l’existence (Macherey, ibid.).

Ce modèle de la variation d’intensité a pour conséquence qu’il n’est pas possible de déterminer nettement ou absolument entre « action » et « passion ».

Il y a donc là une double distinction – les affects se distinguent les uns des autres :

  • En tant qu’ils expriment soit l’augmentation soit la diminution de notre puissance d’agir : affects joyeux / affects tristes
  • En tant que nous en sommes la cause adéquate ou inadéquate : affects actifs (= « actions ») / passifs (= « passions »).
  • Cela devrait donner 4 types d’affects : mais en fait, on verra plus loin qu’il n’existe pas d’affects tristes actifs (les affects actifs sont des affects joyeux).

POSTULATS

Postulat 1 : Le Corps humain peut être affecté de bien des manières qui augmentent ou diminuent sa puissance d’agir, ainsi que d’autres qui ne rendent sa puissance d’agir ni plus grande, ni plus petite.

Ce postulat ou axiome s’appuie sur le postulat 1 et les Lemmes 5 et 7 qu’on verra après la Prop. 13 de la partie 2.

Ces deux postulats renvoient aux postulats sur le corps humain de la partie II de l’Ethique : tous ces postulats énoncent « ce que peut un corps » humain.

La puissance du corps humain s’exprime par la variété de ses affections : « la richesse et l’envergure de ses expériences » (Macherey, 45).

Le corps humain n’est pas une structure matérielle rigide et indéformable, mais une forme malléable qui persiste par-delà ses multiples modifications, et sa puissance d’agir est comme proportionnelle à sa capacité à changer tout en résistant au changement – en se maintenant dans son unité dynamique. Macherey parle de « l’instable stabilité du corps » (46) : la puissance d’agir définit une certaine capacité à varier dans des limites bien déterminées.

Jamais Spinoza ne définit ce qu’est un homme : les postulats sur le corps humain fournissent les seuls éléments de définition de ce qui distingue les hommes des autres vivants. Cette distinction est d’abord quantitative et physique, en degré : quantité et diversité des affections. Grande complexité interne et grandes quantité et diversité des relations externes.

Tout ce qu’il y aura de spécifique dans la psychologie humaine est dû à cette multiplicité des façons d’affecter et d’être affecté.

Postulat 2 : Le Corps humain peut pâtir de bien des changements, et néanmoins retenir les impressions ou traces des objets (à leur sujet, voir le Post. 5 p. 2), et par conséquent les mêmes images des choses ; dont on verra la Définition dans le scolie de la prop. 17 p. 2.

Le postulat 2 ajoute au postulat 1 la considération de la mémoire, conservation d’abord corporelle, des traces de l’expérience. Le comportement humain est dicté non seulement par ce qui lui arrive au présent mais par les vestiges de ce qui est arrivé à son corps par le passé (l’acquis, l’histoire du « sujet »).

Ainsi, sur la base de ces 2 postulats, l’individu humain se caractérise par une faculté à être affecté et impressionné (par la mémoire), son corps étant en permanence sujet à rencontrer et à entrer en relation avec d’autres corps, de telle sorte que sa puissance d’agir s’en trouve constamment altérée, dans le sens d’un accroissement ou d’une diminution, et là est la source de toute sa vie affective bariolée.

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