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Les genres de connaissance – Court traité, II, 1 et 2, extraits

Nous acquérons ces concepts ou bien  :

1° Par la croyance seule ; laquelle croyance se forme ou par ouï-dire ou par expérience, ou bien  :

2° Par une croyance droite, ou bien  :

3° Par une connaissance claire et distincte.

Le premier mode est communément soumis à l’erreur.

Le second et le troisième, bien qu’ils soient différents entre eux, ne peuvent cependant pas tromper.

Pour comprendre cela plus distinctement, toutefois, nous proposerons un exemple pris de la règle de trois, à savoir  :

1° Quelqu’un a entendu dire que si, selon la règle de trois on multiplie le second nombre par le troisième et qu’on divise ensuite par le premier, on trouve un quatrième nombre qui est avec le troisième dans le même rapport que le second avec le premier. Et sans considérer que celui qui lui a donné cette indication pouvait mentir, il a réglé son travail là-dessus ; et cela sans avoir plus de connaissance de la règle de trois qu’un aveugle de la couleur ; et il a débité ainsi tout ce qu’il a pu dire, comme fait un perroquet pour, ce qu’on lui a appris.

2° Un autre qui est de conception plus rapide ne se contente pas ainsi du oui-dire, mais il cherche une vérification dans certains calculs particuliers, et quand il trouve que ces derniers s’accordent avec la règle, il lui accorde créance. Mais nous avons eu raison de dire que ce mode aussi est exposé à l’erreur ; comment, en effet, peut-il être sûr que l’expérience de quelques cas particuliers lui puisse être une règle pour tous ?

3° Un troisième qui ne se satisfait ni du ouï-dire, parce qu’il peut tromper, ni de l’expérience de quelques cas particuliers, parce qu’elle ne peut donner de règle universelle, consulte la Raison vraie qui n’a jamais trompé ceux qui en ont fait bon usage. Cette raison lui dit que par la propriété des nombres proportionnels cela est ainsi et ne pouvait pas être ni arriver autrement. Toutefois  :

4° Le quatrième qui a la connaissance la plus claire n’a besoin ni du ouï-dire, ni de l’expérience, ni de l’art de conclure, parce que, par son intuition claire, il aperçoit aussitôt la proportionnalité dans tous les calculs.

Nous traiterons maintenant des effets des différentes connaissances dont nous avons parlé dans le précédent chapitre, et nous dirons encore une fois, comme en passant, ce qu’est l’opinion, la croyance et la connaissance claire.

Nous appelons la première Opinion, parce qu’elle est sujette à l’erreur et n’a jamais lieu à l’égard de quelque chose dont nous sommes certains mais à l’égard de ce que l’on dit conjecturer ou supposer.

Nous appelons la deuxième Croyance parce que les choses que nous saisissons par la raison seulement, ne sont pas vues par nous, mais nous sont seulement connues par la conviction qui se fait dans l’esprit que cela doit être ainsi et non autrement.

Mais nous appelons Connaissance claire celle qui s’acquiert, non par une conviction née de raisonnements, mais par sentiment et jouissance de la chose elle-même et elle l’emporte de beaucoup sur les autres.

B. Spinoza, Court traité, Partie II, chapitre 1 et 2, trad. Appuhn.